Les joies de la microentreprise
Après quelques mois d'activité, voici venu le temps de faire un premier bilan.
Je me souviens comme si c'était hier de la joie éprouvée à l'idée de devenir mon propre patron. Enfin j'allais pouvoir procéder à ma façon, travailler à mon rythme, mettre dans chaque mission ma touche personnelle, et non celle de mon supérieur. Enfin je n'aurais plus à obéir aux ordres de la hiérarchie allant à l'encontre de mes valeurs. Enfin je pourrais agir en mon âme et conscience.
Les premières semaines de préparation et de création de l'entreprise sont passées très vite, et je me suis rapidement rendue compte des multiples petites imperfections des différentes administrations françaises dont on parle souvent. Eh bien, il faut avouer qu'il y a tout de même un léger fond de vérité. Hauts les coeurs, il faut passer par là, en essayant de ne pas trop s'énerver et gaspiller de l'énergie qui sera bien utile ailleurs.
Car avoir sa propre entreprise, cela signifie ne JAMAIS s'arrêter de travailler.
35 heures par semaine ? Ha ha !!!
Heures supplémentaires limitées ? Peuchère...
Le travail le dimanche est interdit en Alsace ? Ben voyons :-)
Quant aux jours fériés... Ma foi, si le chiffre d'affaires est suffisant, éventuellement....
Et pour ce qui est de tomber malade, il est grandement préférable de faire son maximum pour l'éviter. Ou alors avoir souscrit une excellente assurance privée (et coûtant un bras). Tout cela pour « espérer » un jour en profiter en tombant sérieusement malade ? Non, merci ! Définitivement pas mon genre !
Parce qu'il faut bien regarder la réalité en face, l'équation est simple et vite assimilée : plus tu travailles, plus tu gagnes. Ou autrement dit, moins tu travailles, moins tu gagnes.
Ça ne vous rappelle pas vaguement un certain discours politique ?
On aurait presque tendance à regretter le salaire qui tombe à la fin de chaque mois, de façon régulière et automatique, quelle que soit l'implication qu'on a eue (ou pas).
L'autre grande découverte à propos de la microentreprise, c'est qu'on est seul... tout en étant très nombreux. Je m'explique :
- dès le départ, pendant la phase de création, tout le monde met la main à la pâte :
* le chef d'entreprise se renseigne sur les dispositions légales, assiste à des réunions sur la création de microentreprise, se rend à la Chambre de commerce pour obtenir des informations...
* la traductrice prépare CV, lettre de motivation, site internet, profil LinkedIn, organise son poste de travail, achète matériels et fournitures indispensables à l'activité.
* la comptable effectue toutes les démarches de création, prépare tous les documents administratifs (c'est principalement elle qui s'irrite), ouvre un compte en banque.
* la commerciale établit le plan d'action et le prévisionnel d'activité, répertorie les clients à cibler, et prépare la prospection. Une fois la société officiellement enregistrée et opérationnelle, elle va devoir vendre les qualités de la traductrice et lui trouver des commandes.
* l'informaticien : euh... en fait, il eut été très utile d'avoir un informaticien, mais non, il a fallu faire sans... Ce sera la traductrice qui gérera (ou pas) tous les problèmes techniques (impressions demandées et qui ne s'éditent pas, étalonnage de l'écran qui se dérègle tout seul, problèmes de récupération de documents pdf, mises à jour intempestives qui se déclenchent toujours quand il y a un travail urgent à terminer...) - ayez une pensée pour elle, elle fait de son mieux, mais qu'est-ce qu'elle rame (sans jeu de mots !).
Évidemment, le principe de la microentreprise étant de ne pas embaucher d'employés, vous aurez compris que le chef d'entreprise, la traductrice, la comptable et la commerciale ne sont qu'une seule et même personne : moi !
Alors quand je me réjouissais d'être mon propre chef, j'avais raison... mais en partie seulement.
La traductrice a bien vite réalisé que si une commande arrive le vendredi, et que la traduction est demandée pour le lundi suivant, le chef d'entreprise décidera de l'accepter. Surtout si le chiffre du mois n'est pas très bon par ailleurs. Peu importe que la traductrice doive s'y coller le week-end pour rendre la traduction à temps.
Leçon N° 1 : en microentreprise aussi, le chef a toujours raison.
Et quand la traductrice se rend compte le 16 du mois que la comptable a oublié de lui verser son salaire du mois précédent, c'est pas de chance, mais la comptable restera en poste. Impossible d'en prendre une autre et la payer sur ses deniers personnels, en micro entreprise on ne peut déduire aucun frais. Et puis, à y regarder de plus près, la comptable pourrait être bien plus mauvaise, celle-ci édite les factures correctement et rapidement, suit les réceptions de paiements et relance les clients quand ils sont en retard. D'ailleurs, la comptable ayant géré l'argent de la société avec prudence, et versé des salaires jusqu'à présent raisonnables, il a même été proposé de verser une prime de Noël. Modeste, certes, mais pour une première année d'activité, c'est chouette. Le patron a dit oui à la proposition de la comptable, et la traductrice est bien sûr ravie.
Leçon N°2 : en microentreprise, tout le monde est logé à la même enseigne. On touche tous la même paie et si une personne est virée, tout le monde est viré.
Cela aide grandement à regarder les choses sous un angle nouveau.
Vous me croirez si je vous annonce que le plus terrible dans l'équipe, c'est le patron ?
Il a créé de ces tableaux de chiffres sur Excel, avec des formules automatiques, et les passe au crible tous les jours, évalue, compare, apprécie l'évolution.
Et quand le couperet tombe, ça ne plaisante pas : un mauvais chiffre mensuel peut avoir plusieurs explications
- un manque de commandes enregistrées (la commerciale n'a pas été assez active? il n'y a pas suffisamment de clients réguliers, il faut repartir en prospection...),
- un tarif horaire trop bas (acceptation de commandes pas assez bien payées ou la traductrice est trop lente)
mais a systématiquement la même conséquence pour tout le monde : le salaire du mois sera mauvais. Ce qui explique pourquoi, même si les larrons ne sont pas toujours d'accord entre eux, ils ont les mêmes intérêts et rament (eh oui, encore) dans la même direction.
En outre, la traductrice connaît parfaitement tous les chiffres, aussi bien que la comptable et que le chef, et ne peut guère les contester. Elle a rapidement compris qu'elle doit travailler plus, plus vite, prendre davantage de commandes - en bref être plus rentable - pour que tout le monde puisse s'en sortir financièrement. Ce qui représente une sacrée entorse à ses valeurs personnelles, mais elle n'a pas vraiment d'autre choix si elle veut éviter de mettre la clé sous la porte.
D'où des commandes qui sont acceptées alors que les 35h sont largement dépassées, et travailler le week-end est devenu quasiment une norme. Ah le fameux adage « Quand on aime on ne compte pas ! », tellement véridique
Leçon N° 3 : en microentreprise, tout le monde est solidaire parce que tout le monde connaît la situation et tout le monde comprend les tenants et les aboutissants.
Et quand le bureau de la traductrice (installé dans un coin du salon) accueille une montagne de documents le dimanche, c'est la propriétaire des lieux, la décoratrice, et la femme de ménage qui s'en mêlent, se plaignent et ronchonnent.
Et dire qu'il y a des moments où j'arrive à me sentir seule dans mon nouveau job...
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