Que savons-nous réellement ?
La toute jeune étudiante que je suis (!) a pour instructions de se documenter sur les sujets des textes qu'on lui demande de traduire. En effet, si un Américain parle de "niveau" de cholestérol, un Français parlera lui de "taux" de cholestérol. Et si un Américain donne des résultats en milligrammes par décilitre, le Français les aura en grammes par litre. Chaque domaine ayant son jargon, le traducteur se doit de respecter les expressions utilisées par les spécialistes du domaine en question. Il en va de la nécessité d'être parfaitement compris – et aussi, d'une certaine façon, de donner le change, et de passer, sinon pour un expert, tout au moins pour quelqu'un qui sait de quoi il parle.
Me voilà donc sur internet, à la recherche d'informations sur le cholestérol, pour préparer la traduction d'un texte remontant à une bonne quinzaine d'années. Il ne me fallut pas très longtemps pour réaliser que les nouveautés et découvertes scientifiques dont parlait cet article un peu ancien étaient largement dépassées à l'heure actuelle. La médecine abordait maintenant le problème un peu différemment, sous un autre angle. On envisage aujourd'hui de nouvelles théories, qui remettent partiellement, voire totalement en cause ce qui avait été considéré comme vérité hier.
Alors, le néophyte là-dedans, que peut-il conclure ?
Que ce qui était vrai hier ne l'est plus aujourd'hui, que la "réalité" change et évolue ?
Mais même les articles actuels ne donnent pas tous le même son de cloche, chacun exposant sa théorie, son analyse, son diagnostic. Chaque argumentation repose sur des bases qui paraissent toutes crédibles, mais les socles et les arguments pris en compte ne sont pas les mêmes. Et du coup, les conclusions sont très différentes. Il y a d'un côté les adeptes des statines, sans lesquelles le taux de cholestérol ne peut baisser, d'autres affirment que les statines ont tant d'effets secondaires indésirables qu'il vaudrait mieux ne les utiliser que lorsque le taux de cholestérol est vraiment très élevé. D'autres encore vont jusqu'à dire que si le corps fabrique du cholestérol, c'est que le corps estime qu'il y a un besoin et nul le sait mieux que lui (peut-être tout simplement le corps est-il en déficit de vitamine D par exemple). Dans ce cas, l'empêcher par des statines de fabriquer du cholestérol est totalement inutile, contre-productif, voire dangereux !
Alors, où tout ceci nous mène-t-il ? Au fait que chacun ne conçoit pas la réalité de la même façon.
La preuve ?
(c'est bien la même photo : une fois en noir et blanc, une fois en couleurs)
Nous voilà bien avancés, me direz-vous !
Avec une réalité fluctuante au cours du temps et variable selon les individus, on pourrait presque arriver à la conclusion que nous ne vivons pas tous dans le même monde, et que chacun est d'une certaine façon dans sa bulle personnelle.
Qui croire ? Que croire ? Nous allons forcément être attirés par une version plutôt qu'une autre, en fonction de notre sensibilité, de notre perception personnelle de la réalité.
Qui a tort et qui a raison ?
Et surtout en fin de compte, que savons-nous réellement ?
On pourrait considérer que si les théories des scientifiques se retrouvent contredites quelques années plus tard, c'est qu'elles n'étaient justes. Soit parce qu'elles ne prenaient en compte qu'une part incomplète des composants, soit parce que le postulat de départ n'était pas juste. Je rappellerai ici ce qui m'avait époustouflée à l'époque ou je l'avais découvert : tout scientifique souhaitant effectuer une démonstration part d'un postulat – un cadre, un point de départ qu'il considère comme valable – et à l'aide d'une analyse, parvient à une conclusion. Or il se peut très bien que son postulat de départ ne soit pas exact. Peu importe, la conclusion est considérée valable, jusqu'à tant que quelqu'un puisse prouver le contraire !
C'est quand même formidable, avouez-le !
Voilà pourquoi rien n'est jamais figé. Une conclusion est tirée à un moment X sur la base de connaissances incomplètes. Comment alors la science peut-elle se targuer d'être rigoureuse et factuelle ?
Ce phénomène se retrouve dans un grand nombre de domaines : la physique quantique est totalement différente de la physique darwinienne, une théorie valable en économie ou en gestion il y a vingt ans ne l'est plus du tout à l'heure actuelle, les maladies physiques ou mentales ne sont plus du tout traitées comme au siècle précédent, même la façon de regarder les événements historiques change (pensez à certains "héros" d'antan qui sont dorénavant plutôt considérés comme des dictateurs sanguinolents)… Elle n'est pas très loin l'époque où les États-Unis seront vus comme une nation dominatrice mettant le Moyen-Orient à feu à sang dans l'unique but de s'approprier des richesses...
Si même les experts d'un domaine changent perpétuellement leurs théories et leurs conclusions, et que les vérités sont aussi mouvantes, que pouvons-nous, nous profanes, encore réellement espérer savoir ?
Il me semble que les seules choses dont nous soyons vraiment certains, ce sont les expérimentations et les sensations auxquelles nous avons déjà goûté par nous-mêmes : la joie que nous avons éprouvée à un moment particulier de notre vie, la douleur physique que nous avons pu ressentir lors d'une blessure, la tristesse lors de la perte d'une personne chère, la honte, la culpabilité, le bonheur, le bien-être… Nous savons ce que sont ces sensations parce que nous les avons personnellement ressenties, éprouvées dans notre corps, dans notre chair. Une fois quitté ce registre, tout le reste n'est que de l'ordre du concept intellectuel qu'il s'agit d'appréhender, de comprendre. Et qui est du domaine de l'impermanence.
Alors que le temps essaie perpétuellement de nous faire oublier ces ressentis, ou d'amoindrir leur intensité, la vie se charge en permanence de nous faire les éprouver à nouveau sous d'autres formes. De nous faire revenir dans l'instant présent, dans le ressenti et dans ce que nous sommes de façon intrinsèque.
C'est que certains appelleront le miracle de la vie.
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